
À vous, petits et grands, j'offre ici une autre de ces histoires, à raconter, au coin du feu, à l'heure du coucher...

Il fait un froid de canard...La vieille referme la porte derrière elle, pousse un grand soupir.
Puis, avec une force surprenante, elle lance la corde dans les airs. Le câble se déroule alors et s’étire vers le ciel . On n’en voit plus le bout…son extrémité se perd dans les hauteurs embrumées.
Comme par magie, la corde se tient debout toute seule . Elle pend, on ne sait trop comment. C’est comme si elle était accrochée au ciel. Elle oscille faiblement…
D’une voix geignarde la vieille débite aussitôt d’un seul trait :
-« Un coup, pour sauter par dessus l’heure,
Deux coups, pour bondir au delà du jour,
Trois coups, pour voler à travers les ans,
Quatre coups, pour décrocher la corde et ramener à terre le poids des ans.»
Puis, sans autre formalité, elle empoigne la corde. Du poignet elle donne trois petites secousses et disparaît littéralement...
Se souvenant des étranges paroles de la vieille, elle retourne à l’intérieur de la cabane à l’instant même où Noëline réapparaît, la main encore sur la corde…
-« Tu vois, dit Noëline, j’ai tiré sur la corde et ça ne fait rien du tout! »
-« Bien au contraire, s’écrie Noëla, ça fait au moins une heure que je te cherche partout. Tu avais complètement disparu! »
-« C'est bizarre, dit Noëline, pour moi c’est comme s’il ne s’était rien passé… »
-« Un coup pour sauter par dessus l’heure…et quatre pour décrocher la corde et la ramener » murmure Noëla. Elle tire sur la corde, quatre petites secousses consécutives. Le cable rugueux tombe lourdement à leur pieds.
-« Eh ben ça alors! »dit Noëline.
-« Viens-t-en vite! dit Noëla, ne restons pas ici plus longtemps, j’ai peur! »
-« Mais non, insiste Noëline, enroulons la corde et emportons la avec-nous. C’est une corde magique. On pourra s’en servir. On ne sait jamais! »
-« C’est comme tu veux, dit Noëla, mais je t’en prie, partons au plus vite. Nous pourrons suivre nos traces de pas dans la neige pendant qu’il en est encore temps, le vent se lève à présent. »
-« C’est lourd ? » lui demande Noëla.
-« Un peu oui ! » réponds Noëline.
-« Ça doit être le poids des ans! » dit Noëla. En ricanant.
Le vent, peu à peu, soulève le brouillard et le repousse vers le sud-ouest. Un soleil blafard se dessine, timide et pâle, vers le couchant.
Leurs traces de pas les ramènent sur le sommet d’une colline de grands hêtres dénudés.
- « Tu vois où nous sommes? » demande Noëla.
« Oui , je crois. On en a fait du chemin dans cette poisse! Regarde là bas, le grand chêne tordu entouré d’aubépines . La rivière passe à moins d’un mille vers l’est. Nos traces nous mènent vers le méandre, près du bassin gelé où on se baigne en été. Passons plutôt par le pont. On va sauver une bonne heure de marche. En plus, on va être à l’abri du vent dans la forêt de cèdres qui longe la rivière Noire. »
Maman nous a fait promettre de ne pas aller niaiser dans ce coin là pour rien…c’est un ivrogne. Pis quand il est saoul, y sait plus ce qu’il fait. T’as vu comment y nous regardait, au magasin, la semaine passée! »
« Ben si t’aimes mieux faire le grand détour, pis arriver à moitié gelée à la maison…en plus, à l’heure que ça va nous faire arriver, on va passer en dessous de la table ça c’est sûr! »
« …. »
- «Mmm …Ben on va prendre mon sou chanceux d’abord… »
Noëla, les yeux fermés, lance la pièce qui tourbillonne dans les airs avant de retomber dans la main de sa sœur. Celle ci s’empresse de plaquer le sou sur le dessus de sa main gauche…
« Face…on fait face. Le sort en est jeté! »