
Depuis des années, à chaque Noël, j'écris un nouveau conte.
À vous, petits et grands, j'offre ici une autre de ces histoires, à raconter, au coin du feu, à l'heure du coucher...
- « On entre questionner madame Turgeon?» Demande Noëla. « Elle a peut-être vu quelqu’un, après tout! »
- « Pourquoi pas. On a rien à perdre. Au pire, on s’achète chacune brioche aux raisins! »
- « Mmmm…bonne idée inspecteur Noëline! »
«Ding Dong»…elle entrent en ricanant.
- « Vous êtes ben de bonne humeur à matin, les inséparables! Je gage que vous nous préparez encore un mauvais coup là ? » demande la mère Turgeon en essuyant ses lunettes avec son tablier.
- « Jamais de la vie! » répliquent les jumelles à l’unisson.
- « Deux brioches chaudes avec deux verres de lait, c’est-tu un mauvais coup ça? » demande Noëline.
- « Pis deux pailles avec les verres de lait-s’il-vous-plaît! » rajoute Noëla pour faire plus poli.
Tout en dégustant leur collation les filles s’informent discrètement des allées et venues autour du magasin, la veille.
- « Hier à l’heure du souper…mmm…attendez voir…à part vous autres…y a votre père qui a téléphoné… pis votre frère Guillaume en skidoo, mais y est pas rentré…après ça y a Ti-bras Dufour qui… »

- « Ça fait sept ans qu’il est placé dans une famille à Saint - Gédéon-du-Lac…chez une sœur à sa défunte mère…pauvre monsieur Dufour! Ti-bras est venu passer le temps des fêtes avec son père, y paraît. Y parle pas beaucoup Ti-bras, vous savez ben… »
- « Y transportait pas un sac de jute, une poche en toile? » demande Noëline.
- « J’ai pas remarqué, mais il est pas resté longtemps. Y avait l’air fatigué. Y m’a acheté une lampe à l’huile en spécial, des allumettes, pis y est reparti sans seulement dire merci! »
Les deux filles retournent dehors, stimulées par le progrès de leur enquête…
- « Ti-bras Dufour…c’est sûrement lui! s’exclame Noëline.
- « Il était caché dans le chalet de son père… y nous a vu…y nous a suivi…y'a pris le sac pendant qu’on était au magasin… » poursuit Noëla.
- « Où peut-il être maintenant? » se demande Noëline
« Il faut absolument le retrouver! » réplique Noëla.

En passant à la hauteur du vieux moulin abandonné, Noëla remarque qu’un filet de fumée s’échappe de la cheminée du bâtiment aux ouvertures condamnées.
- « C’est bizarre cette fumée… »
- « Te rappelle-tu…Ti-bras allait se réfugier là en pleurant quand son ivrogne de père battait sa mère, dans le temps. »
- « Allons jeter un coup d’œil… c’est peut-être lui … la lampe à l’huile, les allumettes… »
Dans le vieux poêle rouillé brûle un restant de braises. Par terre, une lampe à l’huile, encore allumée ... Au milieu de la pièce, sur toute la hauteur de la tour du moulin, sortant par un trou dans la toiture, la corde ensorcelée se tient debout toute seule… personne ne répond à leurs appels angoissés…

La lampe tombe et se brise, l’huile se répand sur le plancher qui s’enflamme immédiatement.
En quelques instants le feu court sur les poutres et les murs…le bois est sec et vieux, il brûle comme de la paille. Les jumelles n’ont que le temps de sortir du brasier, tout flambe à présent.
Elles courent sans s’arrêter jusqu’au magasin…
- « Y a le feu au vieux moulin, vite, avertissez tous ceux que vous pourrez! »
Les fermiers accourent…mais il est trop tard. Une épaisse fumée se dégage des restes calcinés… les flammes ont tout dévoré. Les habitants finissent par se disperser. Un à un, les gens s’en retournent chez eux, résignés . Il ne reste plus que les jumelles, Monsieur Dupont père, Guillaume, Rodrigue et Gilbert ses fils, madame Turgeon et puis Jules, son mari.
Noëline et Noëla regardent fixement les cendres fumantes, hypnotisées…
- « Que v’la t’y pas le père Dufour ! » s’exclame madame Turgeon.
Le soulon s’approche en zigzaguant, un quarante onces sous le bras…
- « C’est un ben beau feu que vous avez là! » bégaie-t-il péniblement.
Pis pendant que j’y pense…z’auriez pas vu mon garçon à c’t heure ? »
- « … »
- « Ti-bras… mon branleux de p’tit gars ! »
- « … »
- « Attends un peu que je te le ramasse celui là…y va en manger toute une! »
Sans autre façon, l’ivrogne s’en retourne en maugréant.
- « Peut-être ben, mais là là… moi j’dirais pas non à un p’tit remontant ! » chuchote monsieur Turgeon en faisant un clin d’œil à la ronde.
- « C’est vrai qu’une fois n’est pas coutume ! » fait remarquer Gilbert, l’aîné des enfants.
« Ben si tout le monde est unanime, venez vous-en donc à la maison…» proclame monsieur Dupont. « J’ai un p’tit tord-boyaux pas piqué des vers que je garde pour les évènements! »